Quand on part par la route pour explorer l’Asie, on est rapidement mis devant une décision: comment passer de l’Asie centrale à l’Asie du Sud ? On était traditionnellement devant 2 alternatives: soit traverser la Chine entre le Kyrgyzstan et le Pakistan, ce qui implique des frais très important de guide et des permis à organiser bien à l’avance; soit passer par l’Iran et la province instable du Baloutchistan, qui implique de se faire escorter par les militaires pakistanais, ce qui n’est jamais souhaitable.
L’Afghanistan se trouvait entre les deux régions et nous bloquait l’accès. Ce qui, d’ailleurs, était le but recherché par les Anglais et les Russes qui ont tracé les frontières de l’Afghanistan au 19e siècle pour établir une zone tampon entre leurs empires respectifs (« Le Grand jeu »). Les Anglais étaient très inquiets de voir les Russes prendre pied au Pamir, à quelques jours de marche des provinces du nord-ouest des Indes (maintenant le Pakistan). S’étant eux-même cassés les dents sur l’Afghanistan, ils ont « attribué » à l’Emir afghan un bande de territoire qui va jusqu’à la Chine appelé corridor de Wakhan.
Dans les années 70, le « hippie trail » qui amenait les jeunes Européens en quête de spiritualité vers Kathmandou, passait justement par l’Afghanistan, et l’étape à Kaboul était célèbre pour ses fêtes imbibées de substances illicites. Tout cela est tombé à l’eau avec l’invasion de l’Union soviétique (1979-1989), la guerre civile meurtrière qui a suivi (1989-1996), l’arrivée des Talibans au pouvoir (1996-2002) et enfin, l’occupation par les Américains (2002-2021). Après les Anglais et les Soviétiques, ce sont donc les Américains qui doivent se retirer du pays sans avoir réussi à le pacifier.
Le fait est que, depuis 2 ans, l’Afghanistan est de nouveau ouvert, avec un niveau de sécurité acceptable, et donc c’est cet itinéraire que je vais tester cette année avec ma moto, que j’ai fait envoyer à Bishkek au Kirghizstan.
Paradoxalement, c’est depuis le départ des Américains et le retour des Talibans, qui cette fois sont arrivés à contrôler l’entièreté du pays, que les Afghans connaissent leur première période de paix et de stabilité depuis 40 ans. Bien sûr, ils apportent avec eux leur idéologie moyenâgeuse et liberticide, mais les Afghans qui vivaient la peur au ventre de mourir dans un attentat ont en grande majorité accepté le marché qu’on leur impose: la paix contre le renoncement aux libertés individuelles « offertes » par les Américains. Les femmes surtout n’y ont pas gagné: les filles ne peuvent aller à l’école que jusqu’à 12 ans (bien qu’il y ait des écoles privées pour les plus âgées) et leurs perspectives professionnelles sont réduite à néant. Mais on peut dire que cela touche surtout les populations urbaines, les conditions de la femme dans le villages reculés n’a probablement pas évolué dans un sens ou dans un autre depuis des siècles.
Les Talibans ne sont pas opposés au tourisme occidental, au contraire, ils sont en recherche de légitimité au plan international qui permettrait de lever certaines sanctions qui les touchent économiquement. En fait, leur idéologie est contraire à celle de leurs ennemis de l’Etat islamique ou de Al Qaida, qui ont décidé de lutter contre les occidentaux. Les Talibans, eux, ne demandent qu’à ce qu’on les laisse vivre et gérer leur population comme ils l’entendent, sans qu’on leur impose des idées occidentales comme la démocratie ou la liberté d’expression. Ce sont des concepts qui n’ont jamais existé dans cette société encore largement tribale et centrée autour de la religion. Donc les voyageurs sont les bienvenus et si l’omniprésence d’hommes armés en ville et de checkpoints sur les routes peut impressionner, on peut aussi imaginer que c’est uniquement par la force que le pays est stable et relativement sûr.
Relativement, bien sûr, cela ne ressemble pas encore à la Suisse. On se souvient de l’attentat contre des touristes espagnols à Bamiyan ce printemps (6 morts), revendiqué par l’Etat Islamique au Khorassan, la section locale de Daesh. Mais depuis 2 ans que le tourisme à redécollé, cela reste un événement isolé, comme il y en a eu en Iran, au Tajikistan et au Pakistan, entre autre. Actuellement (2024) la route la plus facile et qui pose le moins de contraintes entre l’Asie centrale et le sous-continent indien passe donc par l’Afghanistan.
En pratique, il faut un obtenir un visa (pas besoin de carnet de passage, mais bien sûr il est nécessaire pour le Pakistan). Il est très facile à obtenir directement à la frontière en venant du Tajikistan, comme je l’ai expérimenté, ou alors au consulat de Peshawar (Pakistan) ou de Mashad (Iran; mais il semble qu’il faut maintenant s’adresser à l’ambassade de Téhéran). Il n’est actuellement pas possible d’entrer depuis l’Ouzbékistan, et seul un poste-frontière avec le Tajikistan est ouvert, Shir Khan Bandar au sud de Douchanbé; les points de passage dans le Pamir (Khorog, Ishkashim) sont fermés.
Seule restriction, mais de taille: les femmes ne peuvent en théorie pas voyager seules. Elles peuvent entrer en Afghanistan, mais uniquement si elles sont en couple ou accompagnées par un guide. De manière générale, même si les Talibans ne sont pas ouvertement hostiles aux femmes occidentales visitant leur pays, ils ne sont pas du tout accueillants et j’imagine que cela peut être très irritant pour les femmes voyageuses. Les habitants « normaux » (non Talibans) sont eux extrêmement gentils et accueillants, mais bien sûr la place de la femme reste au second plan dans ce pays, surtout dans les villages, il faut le savoir et l’accepter (ou trouver une autre destination). Le voile est obligatoire pour les femmes en Afghanistan, bien sûr, mais en dehors des grandes villes il est rare de les rencontrer en burkha, le cliché afghan. En général elles ont un robe longue et un foulard sur la tête, mais qui laisse voir les yeux. En même temps, on est très loin de la tenue des Iraniennes qui posent négligemment leur foulard sur le haut de la tête en laissant apparaître la moitié de la chevelure (ou même parfois sans voile depuis peu). C’est la société traditionnelle qui dicte la tenue et la place des femmes en société, plus que les Talibans.
Je suis donc parti depuis Bishkek en direction du sud, Tajikistan, Afghanistan, Pakistan et Inde où je retournerai des collègues motards pour un tour guidé au Ladakh. Note: la frontière entre le Kyrgyzstan et le Tadjikistan est toujours fermées, ne peuvent passer que les personnes qui se sont déclarées auprès du ministère ad hoc kirghize. Tous les détails dans cet article. De mon coté, je suis passé brièvement par l’Ouzbékistan afin d’éviter cet écueil. Comme nous sommes dispensés de visa dans ce pays, il s’agit juste de passer un poste-frontière de plus.
Alors qu’en Iran, autre état totalitaire aux mains de religieux, la police et les militaires sont invisibles, en Afghanistan les Talibans sont omniprésents et contrôlent tout. Ils ne sont pas intrusifs lorsqu’on se promène en ville, mais ils surveillent tous les déplacements entre les provinces. On trouve des barrages à l’entrée de toutes les villes et parfois en rase campagne. Ils contrôlent visuellement tous les véhicules, et bien sûr, avec ma moto et mon accoutrement, je suis systématiquement retenu pour contrôle du passeport. Les Talibans sont en majorité des crétins qui n’ont reçu aucune éducation à part la lecture du Coran. Ils sont donc bien incapables de lire un passeport. Ils se contentent en général de prendre en photo la page d’identité avant de me laisser partir, parfois après un selfie. Ce sont de grands gamins décérébrés qui jouent avec des jouets d’adultes, mais nos interactions sont souvent cordiales et basiques (ils ne parlent pas anglais bien entendu). On fait avec.
Il faut mentionner une règle très importante lorsqu’on voyage en Afghanistan: il est en théorie nécessaire d’obtenir un permis pour chaque province que l’on désire visiter (il y en a 34). En pratique, personne ne vérifie ce papier, sauf lorsque l’on veut visiter un site archéologique (il y en encore quelques uns qui n’ont pas été détruits). A Kaboul, on obtient facilement un permis pour toutes les provinces que l’on désire. C’est parfait si l’on arrive en avion. En arrivant par une frontière terrestre, il faut se rendre à l’office de la culture de la province et obtenir ce permis, et répéter pour tous les lieux que l’on désire visiter. Si l’on ne fait que transiter, même en y dormant, cela n’est pas nécessaire. On m’a parfois demandé un papier dans une province et j’ai montré le permis pour une autre, et cela leur a suffit.
Il faut savoir que tous les hôtels n’ont pas le droit d’accueillir des étrangers, et quand ils le font ils doivent le déclarer au Talibans locaux. Ceux-ci m’ont souvent fait un petite visite le soir dans ma chambre d’hôtel pour vérifier mon passeport (je dois être en photo dans des dizaines de téléphones, à moins que cela soit dans une boucle WhatsApp comme en Iraq ?). Notez bien, ils sont souvent analphabètes, et certainement incapables de lire un passeport: après l’avoir bien épluché, la prochaine question est: d’où viens-tu et quel est ton nom ?
Pour éviter les soucis, il est recommandé de dormir soit en hôtel, soit dans un endroit connu et validé par les Talibans. Le camping sauvage est en général une mauvaise idée dans ce pays, et si on est invité à dormir chez quelqu’un (les Afghans sont très accueillants), il faut être sûr que les Talibans sont au courant et d’accord, sinon les locaux peuvent voir des ennuis. Pour ceux qui voyagent en véhicule aménagé, il est possible de dormir dedans, mais en général uniquement après s’être entendu avec les Talibans, ce qui implique parfois de dormir près d’un checkpoint, qui ne sont pas les endroits les plus rêvés. Mais c’est possible et cela évite des frais, car les hôtels ne sont pas très bon marché (entre 20-30$ par nuit pour une chambre correcte, 10$ pour une chambre basique avec salle de bain commune et en général sale).
Pour les plus fauchés, il est souvent possible de dormir dans un « Chaikhana », un restaurant qui se compose en général d’une grande salle sans table (on mange par terre). Le soir venu on range les nappes et on s’allonge comme on peut avec une couverture sur les tapis. Le prix est à négocier, symbolique ou gratuit si l’on mange sur place. Bien sûr, pas de salle de bain, des toilettes à l’extérieur et pas de vie privée: en tant qu’étranger on reçoit énormément d’attention de la part des locaux qui ont été privés de tourisme pendant presque deux générations.