Nous quittons Boukhara en direction de l’ouest pour rejoindre la frontière Kazakhe. Après 100 km de mauvaise route en travaux, une belle 2×2 voies récente traverse la partie méridionale du désert du Kyzyl Kum (sables rouges), une immense zone désertique qui sépare la vallée de du Syr Daria (au nord) de celle de l’Amou Daria (au sud).
En sortant de l’oasis de Boukhara, les paysages sont agricoles. Le coton vient d’être planté. L’agriculture est largement mécanisée pourtant des paysans travaillent aussi à la main en avançant en ligne dans des champs immenses. Les eaux de l’Amou Daria sont détournées dans de nombreux canaux pour irriguer les champs de riz, de coton, de pastèques et les vergers. Le coton est une culture très gourmande en eau, en engrais et pesticides. Elle a été développée dans cette région du temps de l’URSS, et est responsable de l’assèchement de la mer d’Aral, une des plus grandes catastrophes écologiques du 20e siècle.
Il a plu récemment et le désert est relativement vert : un fin duvet d’herbe couvre les dunes. La plupart des plantes ont déjà fait leurs graines et ont terminé leur cycle végétatif qui doit être extrêmement rapide dans les milieux arides. Certaines, surprenantes comme les Cistanches, sont encore en fleur.
On arrive enfin à Nukus, la capitale de la région autonome du Karakalpakistan, où on retrouve l’Amou Daria, enfin ce qu’il en reste : la rivière presque à sec, l’essentiel de l’eau passe dans les canaux d’irrigation. Ces derniers sont à ciel ouvert, souvent plein de fuite et une quantité importante d’eau est perdue. Beaucoup de terres sont devenues stériles à cause des remontées de sel, que l’on retrouve sous forme d’une pellicule blanche qui recouvre les champs. La ville ne se situe pas dans un environnement particulièrement riant, c’est rien de le dire… des terrains vagues, des usines, des champs abandonnés…
De nombreux sites archéologiques jalonnent le cours de l’Amou Daria (l’Oxus) qui est la principale source de vie dans cette région désertique. On avait déjà visité avec grand plaisir de nombreuses citadelles aujourd’hui perdues dans le désert (voir ici). Cette fois on campe à proximité du site de Gyaur-Kala, « la forteresse des infidèles » qui remonte au 4e siècle av. J. C. Ses habitants étaient des Zoroastriens, des adorateurs du feu, et donc des infidèles aux yeux des armées arabes qui prennent le site en 712. La forteresse fut occupée jusqu’au 13e siècle quand les Mongols, menés par un des fils de Gengis Khan, décidèrent de tout raser. Il n’en reste aujourd’hui plus grand chose. Mais un immense cimetière (de loin on dirait une ville) occupe la colline voisine. Initialement consacré aux rites zoroastriens, il fonctionne encore aujourd’hui. Le mausolée souterrain de Mazlumkhan Sulu est célèbre. Il date des 12-14e siècles. La légende raconte qu’un souverain local décida de marier sa fille, la belle Mazlum à un homme capable de créer quelque chose d’exceptionnel et de surprendre le monde entier. Le bien-aimé de la jeune fille érigea un bâtiment souterrain, ne laissant qu’un dôme à la surface. Le souverain lui demanda s’il pouvait prouver son amour en se jetant du haut du dôme inachevé. Et le jeune garçon obtempéra… On trouve donc sa tombe et celle de sa veuve prématurée dans le mausolée.
Selon la tradition, les corps sont déposés sans cercueil dans une fosse, recouverts d’une planche puis de sable. Le brancard en forme d’échelle ayant servi à les transportés est laissé sur la tombe.
On se rappelle à la dernière minute qu’il nous faut un test PCR avant de passer la frontière Kazakhe. On trouve un petit hôpital qui nous fait un prélèvement buccal et nous demande de revenir en fin d’après-midi. En attendant le résultat, on visite la ville de Noukous, développée récemment autour d’immenses places dans le plus pur style soviétique. Le centre-ville récent, tout propre et moderne, abrite un musée très connu, celui de l’artiste moscovite Igor Savitsky. Au cours du 20e siècle, cet artiste excentrique a rassemblé discrètement, dans cette région isolée, une des plus grande collection d’art avant-gardiste soviétique. Une activité pas très conforme à l’idéologie de l’époque.
Igor Savitsky achetait tout ce qu’il trouvait. Des oeuvres remisées dans les greniers, parfois cachées ou sur le point d’être jetées pour échapper à la répression à une époque où, en URSS, seul le réalisme socialiste avait droit de cité.
Bon, il faut être connaisseur d’art pour apprécier! Ce que nous ne sommes malheureusement pas. Il faut reconnaitre aussi qu’à l’époque Savitsky achetait tout ce qu’il trouvait, des croûtes cachées dans des caves ou des greniers pour échapper à la répression ou que les auteurs eux-mêmes auraient jetées.
Le bâtiment consacré aux pièces ethnographiques qui nous aurait plus intéressé est malheureusement fermé. On trouvera néanmoins quelques objets, comme un grand sarcophage en céramique du 3e siècle, provenant du site de Gyaur-Kala que l’on vient de visiter.