Petit retour sur la possibilité de voyager en Russie actuellement et notre expérience récente.
Malgré la guerre de la Russie contre l’Ukraine et les sanctions occidentales contre le régime de Poutine, il est tout à fait possible de voyager en Russie. En fait, pour les touristes, la situation n’est pas beaucoup plus compliquée qu’avant la guerre (et après la fin deS restrictions dues au Covid).
Le visa s’obtient de la même manière, à l’ambassade de son pays de domicile, avec une lettre d’invitation d’une agence pour un visa normal (simple ou multi-entrées), ou sans pour un visa de transit, comme celui qu’on s’est procuré très facilement à Marseille avant de partir (7 jours).
La seule restriction est que les cartes de crédit ne fonctionnent plus en Russie, il faut donc venir avec du cash (les euros sont facilement changés dans n’importe quelle banque).
Passage de douane
A la douane, la situation n’est pas inhabituelle : un check rapide de la voiture et un passage au bureau des douanes pour obtenir un permis d’importation temporaire d’un an. Enfin, pour nous c’était encore plus facile, puisqu’on arrivait du Kazakhstan, qui fait partie de la même union douanière que la Russie, le Kirghizistan et l’Arménie: donc pas de douane entre le Kazakhstan et la Russie, juste un tampon sur le visa.
Par contre, la situation est très différent pour les routiers qui font du transport commercial entre l’Europe et la Russie. En effet, la guerre a coupé les routes majeures de commerce entre l’Europe et la Russie, par l’Ukraine et la Biélorussie. Et les sanctions font que les entreprises européennes ne peuvent plus commercer (directement) avec l’Europe.
On pourrait s’attendre donc à une absence de camions à la frontière de la Russie: c’est exactement le contraire. Les biens de consommation européens continuent à arriver en Russie, mais par des routes détournées qui étaient beaucoup moins utilisées avant. En effet, des pays comme la Turquie et la Géorgie n’appliquent pas de sanctions envers la Russie. Donc un marché parallèle du transport de biens s’est établi, où les entreprises exportatrices européennes voient les commandes affluer depuis la Turquie ou la Géorgie. Il ne sont pas dupes, bien sûr, et ce ne sont pas les Géorgiens qui tout d’un coup achètent 3 frigos et 5 téléphones pour Noël.
Le flux de marchandises s’est donc déplacé au sud de la Mer Noire, une route plus longue et surtout très embouteillée car la situation compliquée de la région sud-Caucase implique que la quasi-totalité du trafic se reporte sur un seul point de passage, entre la Géorgie et la Russie. Il se trouve sur la route Tbilissi – Vladikavkaz, appelée aussi « Georgian Military Highway ».
Pour passer de Turquie en Russie, il faut traverser la chaîne du Caucase, avec ses montagnes à 4000 et 5000 m, qui barre presque entièrement l’espace entre la Mer noire et la Caspienne. La meilleure route pour la franchir est la « Transkam », qui passe par le tunnel de Roki. Malheureusement, celui-ci est situé en Ossétie du Sud, qui a fait sécession de la Géorgie et est donc interdit de passage. Une autre route passe par l’Abkhazie à l’ouest, qui a le même statut. Le seul chemin possible est la route Kazbegi-Verkhni Lars sur la route militaire géorgienne. Les camions peuvent également faire un très long détour par l’Azerbaïdjan pour remonter le long de la Caspienne. Pour les touristes, les frontières terrestres de l’Azerbaïdjan restent encore et toujours fermées en ce mois de mai 2023.
On emprunte donc cette ancienne route militaire géorgienne du nord au sud, en quittant les plaines agricoles de la région de Grozny et en grimpant vers les montagnes enneigées,. La route suit la passe de Darial, le long du canyon de la rivière Terek. La gorge de Darial est un des autres lieux légendaires où se situeraient les portes d’Alexandre, comme la forteresse de Derbent où on était il y a quelques jours (pour ceux qui suivent !). Cette voie de passage est très ancienne et stratégique, avec des places fortifiées au moins depuis le 2e siècle avant J.-C. Elle a été empruntée par les Perses, les Romains, les envahisseurs Mongols, les marchands qui circulaient sur la route de la Soie, etc. La construction de la route militaire a été entreprise au 18e siècle afin de faciliter les communications entre la Géorgie et la Russie. La route a ensuite été étendue et améliorée au fil des siècles, et a joué un rôle crucial dans la défense du pays contre les invasions étrangères. Aujourd’hui elle permet aussi d’accéder à une station de ski. Un des arrêts classiques pour les touristes est le monument commémorant l’amitié russo-géorgienne construit en 1983, sur un beau replat glaciaire. On peut louer ici des luges, des ânes, des motoneiges, manger, payer le parking… bref, tout ce qu’on aime!
En arrivant à la douane depuis la Russie, on avait bien remarqué 2-3 km de camions en attente de passer, ce qui n’est pas en soi complètement inhabituel. Par contre, du coté sud (en Géorgie), on a longé des files interminables de camions stationnés sur le bas côté, pratiquement jusqu’à Tbilissi, donc sur plus de 100 km (en discontinu) ! il doit bien y avoir 3000 – 4000 camions en attente de passage, ce qui doit leur prendre entre 5-7 jours au bas mot pour traverser la frontière!
Le système est bien organisé par les flics géorgiens : dès que la route est assez large, les semi sont stockés à la queue-leu-leu sur le bord de la route. Des sacs poubelle sont distribués aux routiers, on trouve donc plein de poubelles déposées au bord de la route du côté opposé aux camions stationnés, donc on peut imaginer que l’environnement ne souffrira pas trop des bivouacs forcés des chauffeurs TIR.
Dès le passage de la frontière, les géorgiens ont construit une église : fini les minarets que l’on rencontrait côté russe ! Juste après, à Kazbegi, se trouve la célèbre église de La Trinité, perchée sur un replat glaciaire. On était déjà venus ici en 2017 (avec des températures plus clémentes). Aujourd’hui la neige est proche. Le tourisme s’est énormément développé dans la région en peu de temps. Une route goudronnée monte à l’église alors qu’on avait dû prendre une très mauvaise piste à l’époque. Et dans le village, l’offre de guesthouses est pléthorique. Fini l’aventure !
Bon, on va se mettre au chaud !