Après notre série d’églises et de monastères, notre dernière étape en Turquie est Hasankeyf sur les berges du Tigre (Note : vous en avez entendu parler récemment parce que c’est là que Mathias Depardon a été arrêté et emprisonné sans motif, alors qu’il faisait un reportage sur le Kurdistan, un sujet très, très sensible ici).

D’un point de vue du patrimoine, le site est extrêmement riche : des habitations troglodytes sont occupées depuis plusieurs millénaires, une citadelle domine le canyon du Tigre, au-dessus d’un des rares ponts permettant de le traverser et un mausolée très ancien a été conservé sur l’autre rive. Tout cela doit être noyé sous les eaux d’un grand barrage prévu pour 2019. La gestion de l’eau en Turquie est un sujet très polémique. Outre le fait que ce barrage priverait les terres en aval d’une bonne partie des eaux de la rivière et que tout un patrimoine archéologique va être noyé, la ville kurde de Hasankeyf va être déplacée. Officiellement les habitants vont être relogés. Mais la réalité risque d’être bien différente : les logements dans la nouvelle ville en construction vont couter très cher et tous ne pourront pas payer la différence de prix avec ce qu’ils recevront comme dédomagement pour leur ancienne maison. Quel sera donc leur avenir ?

Face à toutes ces polémiques, de nombreux partenaires européens, dont la Suisse, qui participaient au financement du barrage se sont retirés du projet. Pour tenter de minimiser la perte d’un site de l’UNESCO, la citadelle a été fermée aux visiteurs, sous prétexte d’éboulements. Du coup, pour la visiter, les guides locaux vous proposent des chemins détournés ! En fait très peu de touristes viennent ici depuis les problèmes avec le PKK. On nous déconseille d’aller camper dans la nature, du coup on installe le bivouac à côté de la rivière à proximité des restos désertés.

Les piles de l’ancien pont du 12ème siècle sont en cours de rénovation, on se demande bien pourquoi car elles vont être noyées sous les eaux du futur barrage. Un projet de tourisme sous-lacustre peut-être ? Il faut espérer que les eaux soient claires… Nous nous dirigeons vers le fameux mausolée de Zeynel Bey qui date du 15ème siècle, en suivant les panneaux de direction, mais pas de mausolée à l’horizon… en fait il a été déplacé sur une petite butte 20 jours auparavent pour être sauvegardé.

On rencontre les ingénieurs du chantier qui nous autorisent à prendre des photos de loin. Effectivement le mausolée va faire partie d’un nouvel ensemble touristique sur les berges du futur lac, près de la nouvelle ville.

Nous partageons une dernière soirée avec notre ami Osman sur une petite terrasse les pieds dans l’eau du Tigre, buvons quelques dernières bières en cachette (c’est encore meilleur) et le lendemain, cap sur Erzurum pour récupérer nos visas iraniens. Laurent m’entraine quand même visiter quelques vieilles églises arméniennes.

La dernière se trouve au milieu d’un terrain vague servant de décharge dans la banlieue d’Erzurum… bon, j’espère qu’il a prévu mieux pour la suite quand même !

Nous passons la dernière nuit en Turquie en face du palais d’İshak Paşa au pied du Mont Ararat. Le soir seul le sommet dépasse des nuages mais le lendemain, le temps est au grand beau, magnifique !

Le passage de la douane se fait sans problème. Nous devons déclarer que nous n’avons pas de boissons alcoolisées dans la voiture, présenter le carnet de passage. Nous sommes accueillis au bureau des touristes et un gars se charge des formalités. Bon, ça y est, pour moi la liberté s’arrête ici et il faut prendre le voile ! pour l’instant il ne fait pas très chaud dans les montagnes, donc ça m’arrange presque. Mais ça risque de ne pas durer…

Nous nous nous baladons dans le nord-ouest du pays dans les provinces de l’Azerbaïdjan Iranien où il reste encore des vestiges… d’églises arméniennes !

Nous manquons de nous enliser sur les bords du lac Ourmia, le plus grand lac d’Iran. Enfin, le plus grand lac d’Iran avant les années 1970. Car depuis, comme la mer d’Aral, ce lac hypersalé a presque complètement disparu aujourd’hui sous l’effet des prélèvements intensifs d’eau dans les rivières et les nappes phréatiques qui l’alimentent. Du lac, il ne reste plus que de vastes étendues de sel… qui paraissent solides mais qui sont en réalité bien traitres en voiture !

Nous nous dirigeons vers un site exceptionnel : Takht-e Sulaiman, le « trône de Salomon ». C’est un sanctuaire zoroastrien, la religion monothéiste la plus ancienne du monde et qui a eu de profondes influences sur les religions plus récentes, l’Islam, le Judaïsme et la Chrétienté. C’était la religion des Perses durant l’âge d’or de cette civilisation. Il est clair que le site se prête particulièrement à l’adoration des forces de la nature : un volcan encore fumant (enfin bon, j’exagère à peine, mais il y a quand même des vapeurs de soufre bien présentes) domine une vaste plaine dans laquelle se trouve un magnifique lac alimenté par une source artésienne. L’eau très minéralisée a construit un bourrelet naturel autour de la source sur lequel se trouvent les ruines de plusieurs temples dédiés à l’eau et au feu. Le site a été occupé pendant la dynastie Sassanide puis détruit et reconstruit et fortifié au 13me siècle.

Le lieu est assez touristique surtout que c’est aujourd’hui jour férié en Iran. Ici pas de police des mœurs, beaucoup de femmes ont enlevé leur voile au sommet du volcan (évidemment je m’empresse de faire comme elles), tout le monde boit et mange avant le coucher du soleil en public, sans problème. Un grand contraste avec les villages ruraux que nous venons de traverser et où nous n’avions croisé que très peu de femmes, toutes enroulées dans de grands tchadors noirs. Les Iraniens sont comme toujours adorables et nous offrent à boire et à manger, « welcome in Iran » !

Nous faisons un petit arrêt au mausolée de Soltaniyeh construit par un des descendants de Genghis Khan, puis cap sur Ispahan.